
Un Métier Sous le Poids de la Nécessité
Mon père était maçon. Pendant des années, il a porté des parpaings et grimpé des échafaudages, non par vocation, mais parce que les portes se fermaient ailleurs. Son origine ethnique lui collait à la peau, transformant chaque chantier en rappel cruel de son exclusion. Malgré la fatigue et l’humiliation, il nous soufflait chaque soir : « La patience, mes enfants. Un jour, le soleil percera. »
L’Accident qui a Déchiré Notre Ciel
Ce jour-là, le vent sentait la poussière de ciment. Sur le chantier, des cris ont déchiré le brouhaha habituel : « Dahabo ! Vite, c’est ton mari ! » Ma mère a couru, ses pieds soulevant des nuages de gravier. Elle l’a trouvé allongé, une jambe tordu dans un angle impossible, le visage maculé de sang et de terre. Autour de lui, des regards fuyants, des murmures étouffés. Personne n’a composé le 15. Personne n’a même tendu une main.
Le Long Chemin Vers l’Abandon
Ma mère l’a transporté dans une vieille Renault, pleurant et priant pendant que je serrais sa main froide. À l’hôpital, on l’a opéré à la va-vite, comme s’il était invisible. Aucune visite. Aucun coup de fil. Juste le silence coupable de l’entreprise, étouffant comme une chape de plomb.
Quand nous avons osé porter plainte, le commissariat nous a accueillis avec des regards vides. « Revenez la semaine prochaine », disaient-ils, écrivant à peine nos mots. Semaine après semaine, nos espoirs s’effritaient. Les dossiers « égarés », les promesses évaporées. Nous avons compris : pour eux, un ouvrier étranger ne valait même pas l’encre d’un procès-verbal.
L’Effondrement
Sans rééducation, sans soutien, son corps s’est ligué contre lui. La jambe blessée a gangrené sa mobilité, puis sa dignité. Aujourd’hui, il reste cloué au lit, son rire d’autrefois remplacé par un rictus de douleur. L’accident n’a pas juste brisé un homme – il a pulvérisé notre famille, exposant la cruauté d’un système où les vies des pauvres sont jetables.